Par Sylvie St-Onge, HEC Montréal
La pandémie a forcé le travail à distance pour 40 % des travailleurs au Canada. Aujourd’hui, une majorité d’entre eux veulent pouvoir continuer de travailler de leur maison ou du lieu de leur choix, au moins en partie.
Bien des dirigeants cherchent maintenant à baliser leurs modes de travail hybride afin d’optimiser la satisfaction des besoins de leurs employés avec ceux de l’organisation.
Pour aider les employeurs, Ali Béjaoui, professeur à l’Université du Québec en Outaouais, Camille Sauvé-Plante, alors étudiante à HEC Montréal et moi-même avons rédigé u n chapitre à ce sujet dans Le Québec économique 10. Nous y expliquons comment gérer du personnel en mode hybride, de manière à satisfaire les trois besoins fondamentaux : celui d’autonomie, de compétence et de relations.
Qu’est-ce qu’un mode de travail hybride ?
Le travail hybride offre de la flexibilité quant aux lieux physiques du travail, au temps qu’on y consacre, aux horaires ainsi qu’aux tâches.
Le lieu du travail peut varier, allant de l’organisation même ou d’un de ses bureaux satellites, au domicile ou autres résidences de l’employé, aux lieux publics (comme les cafés ou les hôtels), voire à l’étranger.
Le travail peut être effectué en alternance entre plusieurs lieux, en fonction des jours de la semaine, des périodes de l’année ou des tâches à faire. Par exemple, le travail à distance peut être adopté modérément (par exemple, deux jours par semaine) ou devenir presque la norme (de trois à quatre jours).
Selon les secteurs d’activités (santé, banque, etc.) et les catégories de personnel (entretien, usine, bureau, etc.), il sera plus ou moins possible pour des employés de travailler à distance ou selon des horaires personnalisés. D’autres seront peu attirés par le télétravail, selon la dimension ou le lieu de leur domicile, leur vie familiale, le stade de leur carrière, leur personnalité, leur emploi, etc.
Comment répondre au besoin d’autonomie du personnel ?
Le besoin d’autonomie réfère au sentiment de liberté de pouvoir choisir comment faire son travail sans pression externe ou interne, ou contre sa volonté. Pour combler ce besoin d’autonomie des employés qui travaillent en mode hybride, le dirigeant ou le cadre doit :
1) Développer ses habiletés de coaching, de rétroaction, de coordination, d’établissement d’objectifs, de suivi des performances et de délégation en misant sur la confiance et la responsabilisation des membres de son équipe. Il doit respecter leurs choix en termes d’organisation du travail, lorsque cela est possible et cohérent avec les besoins des clients et de l’organisation.
2) Définir les rôles et les responsabilités de tout un chacun afin de réduire les risques de confusion entre les employés. Ces derniers travaillant à des endroits et selon des horaires différents, une certaine confusion est plus susceptible de survenir.
3) Ajuster les critères de performance et de promotion en privilégiant les résultats, les réalisations, l’atteinte d’objectifs ou le respect des échéances afin de favoriser un sentiment de libre choix, d’imputabilité et d’équité.
4) Respecter le droit à la vie privée des employés et intensifier les efforts de sensibilisation aux enjeux liés à la santé, notamment en les aidant à départager leurs sphères de vie et en limitant officiellement les exigences de disponibilité à distance.
5) Éviter un excès de contrôle ou de microgestion qui frustre le besoin d’autonomie. Les normes et les outils de surveillance doivent correspondre à un véritable intérêt pour le bien-être collectif (gérance raisonnable en vue de réduire les risques de cyberattaques, hameçonnages et pertes de données).
Comment répondre au besoin de compétences du personnel ?
Au travail, les personnes ont besoin de maîtriser les compétences requises pour faire leur travail et se sentir confiantes et efficaces. Pour combler le besoin de compétence des employés qui travaillent en mode hybride, le dirigeant ou le cadre doit :
1) S’assurer que les employés ont l’équipement, le matériel, les informations, les technologies et l’environnement physique de travail appropriés. Une équipe de dépannage ou d’accompagnement doit offrir des appuis divers aux employés tant à distance que sur les lieux de l’entreprise.
2) Porter attention aux employés nouvellement embauchés et en début de carrière afin de prendre le temps de bien leur présenter leurs responsabilités, outils, collègues, opportunités de développement, etc.
3) Embaucher des employés dont les compétences font en sorte qu’ils seront satisfaits et performants dans un contexte accru de travail à distance comme la discipline, l’initiative, la gestion du temps, le sens de l’organisation et un besoin d’affiliation moins grand.
4) Valoriser les meilleurs employés – tant ceux qui travaillent à distance ou sur les lieux de l’entreprise – en leur assignant des responsabilités ou des défis qui exploitent leur potentiel et en échangeant avec eux sur leur carrière et leur développement.
5) Adopter des balises et critères qui favorisent les perceptions de justice et d’inclusion dans les décisions, notamment en matière de promotion et de rémunération variable. Les décisions doivent être et paraître justes tout autant aux yeux des employés qui privilégient de travailler à distance que ceux qui travaillent davantage sur les lieux de l’entreprise.
Comment répondre au besoin relationnel ?
Le besoin de relation correspond au désir de vivre en connexion avec les autres. Pour que les technologies et les distances liées au mode de travail hybride ne frustrent pas ce besoin de relation, le dirigeant ou le cadre doit :
1) Consacrer des efforts pour entretenir un sentiment d’appartenance, maintenir l’esprit d’équipe et exercer un leadership de proximité en développant des relations de confiance avec chaque membre de son équipe. Favoriser les rencontres ponctuelles virtuelles et en personne.
2) Accorder un soin particulier à la dimension sociale de l’accueil et de l’intégration des nouveaux employés et mettre en place un système de parrainage, de mentorat ou de facilitateur afin de favoriser les communications entre tous les employés.
3) Revoir la conception des espaces de travail sur les lieux de l’entreprise pour qu’ils favorisent la collaboration, les échanges, l’innovation, le renforcement de la culture et l’exécution de « tâches à valeur ajoutée en présentiel ». Pour cela, il faudra gérer les potentielles résistances et les perceptions de perte de prestige, de reconnaissance ou de statut social (p. ex., perte d’un bureau privé ou d’un stationnement).
4) Embaucher ou donner des promotions aux personnes qui adhèrent aux valeurs et à la culture organisationnelles.
5) Développer les compétences des cadres pour gérer avec soin la performance des employés au quotidien : planification, suivi, évaluation, développement et reconnaissance.
6) Éviter d’exercer une surveillance excessive qui met en doute les compétences des employés, brime leur besoin d’autonomie et alimente un climat de peur, de dénonciation et nuit à la collaboration.
7) Sonder régulièrement le personnel. Le mode hybride pose des défis en ce qui a trait aux perceptions d’équité entre des employés qui n’ont pas les mêmes accès au travail à distance ou font des choix différents quant à leur lieu de travail et leurs horaires. Il faudra recourir presque systématiquement au mode hybride lors des réunions afin que les employés qui sont à distance se sentent tout autant inclus et concernés que ceux qui sont sur les lieux du travail.
Transcender les horaires et les lieux de travail
Dans un contexte de compétitivité sur le marché de l’emploi et le marché des produits et des services, il importe de reconnaître que des modes de travail hybride (lorsque le secteur d’activité et les emplois le rendent possible) peuvent contribuer à mieux satisfaire les besoins des employés, mais aussi des clients.
Si les modalités de travail évoluent, les besoins fondamentaux d’autonomie, de relations et de compétences des employés perdurent. Il importe donc de les prendre en compte pour maintenir la motivation du personnel et favoriser la performance organisationnelle. Pour cela, il faudra former les cadres et les employés, ainsi que les clients, pour qu’ils apprennent à collaborer autrement en investissant, entre autres, dans des outils technologiques de coordination et de communication qui vont transcender les horaires et les lieux de travail.
Sylvie St-Onge, Professeur titulaire de Management et GRH/ Full professor of Management and HRM, HEC Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.